Couvert d'une épaisseur craquelée de boue, des brindilles tortues plein les cheveux, quelques mouches chevelues tournent autours de ma crasse odorante. Je traine comme je peux, un sac large et pesant, laissant sur mon passage un sillon assommé, tel un cadavre incongru entre les mains d'un enfant. Collés à mes pas, les taupes chuchotent, marmonnent, me bouffent l'aura avec des pupilles rondes, délavés, fluorescentes... Ce souvenir n'a aucune valeur particulière, ce ne fut pas ma plus grosse connerie de prince gâté, ni la première, et certainement pas l'unique ou la dernière. Mais ce souvenir entres les lignes débordantes d'orgueil près-pubère, laisse devine que mon monde un temps, il me terrifiait. Dés lors que je n'avais plus son ombre pour me couver... Je distingue enfin la silhouette rassurante de la tour de mise et redouble d'ardeur pour y mener mon fardeau. Les portes je les passe avec un sourire radieux aux lèvres, conquérant, propriétaire des lieux sans aucune hésitation. Rapidement des employés affolés m'accostent, braillant dans une cacophonie indistincte. Un escadron d'abeilles voltige tout autours de moi, me menant jusqu'à leur patron avec une impatience fébrile. Je ne me rend pas compte que quelque chose cloche, jusqu'à ce qu'une brulure intense m'irradie la joue. Puis la seconde. Ma génitrice me fait fasse, nimbée d'une fureur platine légèrement ébouriffée. Je ne saisis pas ce qui allume un incendie dans son regard, pourquoi le croc-mitaine me parait moins meurtrier que la rage vomit par les yeux de ma mère. Sade hurle après moi dans un fatras de reproches qui sonne comme une langue étrangère. Moi je me nappe dans ma fierté bafouée, vexé par ses cris qui me semblent tellement injustifiés. Je n'ai rien fais de mal. Mieux encore, j'ai voulu lui faire plaisir. Je suis sûr d'être dans mon droit, que c'est ce père, maman poule flirtant trop souvent avec l'hystérie, qui abuse encore de son autorité. Alors j'arrache le sac que quelques croupiers tremblotants tenaient près d'eux, et l'ouvre violemment. Une poupée-machine à sous git, inconsciente dans la toile boueuse. Mon regard est carnassier, un sourire fourbe, lui crachant à la gueule combien ses baffes n'étaient pas méritées, sautille sans grande discrétion sur mon visage. Et lorsqu'elle veut me prendre dans ses bras, qu'il cherche par une geste de tendresse à murmurer le pardon qui, audible, lui brulerai les lèvres. Moi je m'écarte, en lui gueulant d'aller se faire ramoner, que ça la détendra. Si je me souviens bien j'ai quand même fini câliner contre lui, envahi, presque agresser comme toujours, par son odeur lourde. Un parfum suave que Sade dégage, comme du poison qui s'échappe d'une orchidée sanglante. Plante aux cheveux de pétales, aussi soyeux qu'étrangleur, tu ronges ce que je suis, l'uses encore et encore et encore. Jusqu'à ce qu'au crépuscule, il ne reste qu'un tas d'ossements tordus, valsant avec un souvenir d'atrocité passionnelle.